Naissance de l'écriture

 

Parce que l'écriture a à voir avec l'enfantement. Parce que l'écriture est un accouchement. Parce que cela relève de l'intime. Parce que c'est un acte violent. Parce qu'on y met sa chair, son sang, son corps, ses larmes. Parce que c'est ce qu'on a de plus précieux. Parce que.

Il n'y a pas de raison valable. Que des tentatives de réponse, quand on sait pourtant et pertinemment qu'il n'y a pas de solution à la question : pourquoi écrire ?

Et puis on écrit, on forme des lettres et des phrases sur le papier blanc, on met des mots sur des sensations, sur des rêves, sur des désirs. Est-ce que ça change quelque chose ? Est-ce que ça a un sens ?

Je ne sais pas.

Il n'y a pas de réponse à ça. Il n'y a qu'une chose à faire. Ecrire. Continuer à écrire. Ecrire toujours. Parce qu'on n'a que ça, parce que c'est la seule chose à laquelle se raccrocher, ou peut-être parce que c'est la seule chose qui nous raccroche - et pourtant l'écriture est insuffisante, l'écriture ne dit pas tout, l'écriture ne remplace rien.

Pourquoi l'écriture ?

Je suis venue très tard à l'écriture. Je veux dire, je n'écrivais pas petite dans des journaux intimes fermés avec une petite clé dorée, je n'écrivais même pas sur des coins de feuille, je n'écrivais pas. Des lettres seulement, pendant les vacances, aux amies rencontrées au bord de la mer. Et puis l'hypokhâgne, la vie à Paris, les cafés, les jardins, les bibliothèques, les garçons y ont été pour quelque chose. Trop de choses se passaient, trop de choses me dépassaient, le monde allait trop vite et j'avais mal de ne pas le retenir. Alors, quand la vie ne laisse plus assez de temps pour tout en prendre, quand les sensations nous échappent, que vivre n'est pas suffisant, quand le réel ne suffit plus - alors vient l'écriture. Les mots, pour dire, pour rejouer, pour réinventer, pour aller plus loin, pour rendre plus esthétique. L'écriture est une poursuite esthétique de la vie. L'écriture est une façon de vivre encore plus loin, encore plus fort.

A dix-huit ans, je n'avais qu'un petit carnet Muji, beige, à spirale. J'y écrivais peu. Je découvrais le pouvoir des mots. Le besoin impérieux parfois d'aller y inscrire des sensations, des émotions, des conversations. J'ai lu, aussi, des journaux de femmes : ceux de Sylvia Plath, d'Alix Cléo Roubaud ; des lettres de la correspondance de Flaubert ; des auteurs qui écrivaient leur vie transformée, augmentée. L'écriture a à voir avec la littérature, bien sûr. C'est peut-être Duras qui m'a fait croire que moi aussi je pouvais écrire, que je pouvais prendre ce droit, cette liberté. Qu'il suffisait de mettre ses propres mots. C'est ça qui est formidable chez Duras : des mots simples, des constructions élémentaires, et pourtant une beauté fracassante. Pas besoin de mots archi compliqués, de tournures alambiquées, pour susciter l'émotion devant une écriture, pour traduire des sensations. Des couleurs, des mouvements, des gestes, des sons, des silences. Ca paraît simple, non ?

Et puis l'écriture vient, s'installe, un peu plus chaque jour, et cela devient un besoin, quelque chose à quoi on pense chaque jour, le soir en rentrant on a envie d'écrire, de sortir ses carnets, d'avoir la nuit devant soi pour tout écrire. Parce que bien sûr on y croit à ça, tout écrire, tout dire, mettre des mots sur tout. Enfermer la vie dans un carnet. Heureusement que ce n'est pas ça. Que quelque chose toujours nous échappe. Qu'il faut sans cesse revenir à l'écriture pour reprendre, réécrire, et peut-être même qu'on écrit à chaque fois la même chose, peut-être que simplement on cherche des mots différents.

A dix-neuf ans, enfermée dans mon studio à l'abri de l'hiver, j'écrivais pendant deux heures chaque jour. Chaque nuit. Je me couchais tard, je dormais peu, parce que j'avais aussi mes études. Mes amies. Mes garçons. Cette absence de sommeil me rendait encore plus sensible, encore plus fragile, et je percevais le monde à fleur de peau, tout se transformait en sensation aiguë. Il fallait écrire. Tout et n'importe quoi, ce qui arrivait, ce qui n'arrivait pas, les rêves, les désirs, les angoisses, les joies, les livres à lire et les films à voir, la liste de mes courses simplement parfois. Il y a eu une période folle avec l'écriture. J'écrivais tout le temps. J'emmenais mes carnets partout et j'écrivais en cours, dans les amphis, dans le métro, dans le train. Je ne pouvais pas tout faire, alors l'écriture prenait la place de la lecture.

Aujourd'hui j'ai des envies particulières d'écriture, des projets plus précis, des idées à poursuivre, des choses que je voudrais mettre en route et puis laisser tomber peut-être, mais ce sont les pistes ouvertes qui comptent. Qui pourront toujours être reprises. J'ai envie d'ouvrir des brèches, de tracer des chemins, de faire des percées. J'ai un journal, un blog, un carnet de bord, un carnet de rêves, un carnet des garçons, un début de roman... Tout ça est plus ou moins avancé. Mais cette profusion me plaît, il y a toujours un projet à reprendre, à creuser ou à transformer.

En faisant une page sur l'écriture, j'aimerais parler de quelques thèmes, de motifs qui toujours reviennent dans ce que j'écris. Je voudrais aussi garder la trace de mes pas dans l'écriture, parce qu'il y a des périodes où écrire ne compte plus, des périodes où sans écrire plus rien ne compte. Il y a des projets qui naissent, qui disparaissent, il y a des inspirations et des sécheresses. Il y a des mots, et des silences.

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Journal d'écriture

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Le corps

Femme, fière et folle

L'enfant

 

La peinture en arrière-plan est de Klimt.

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