journal d'aglae - page qui se balade au creux de la nuit suffocante - 12 septembre 2006
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chaleur étouffante dans la petite chambre sous les toits, le soleil a battu les fenêtres tout l'après-midi, demain je m'offrirai le luxe d'un long bain, me sentir bien et libre et reposée - qu'est ce que j'ai à être si fatiguée, épuisée, ma nuque est fragile, mon corps m'abandonne parfois - vertiges, malaises, feeling dizzy - je dis : je suis fatiguée, terriblement fatiguée depuis que je suis allée à l'aéroport dimanche matin, papa répond : pourtant il reviendra, oh mais qu'est-ce que c'est que ça, ces réactions physiques au manque et à l'absence, je vois mes cuisses dénudées et je pense à leur écartement quand tu y entres, je suis un peu folle dans la nuit de fin d'été, peut-être que la chaleur m'abrutit.

je pense à tant de choses ce soir que je ne m'y retrouve plus, ma tête se perd et mes yeux se ferment, je pense à mes belles chéries doucement retrouvées, M ma très belle avec toi notre amitié toujours si naturelle, nos corps qui se retrouvent, nos mains qui se tiennent, tes grands yeux verts et ta peau blanche qui me sourient, me reprennent comme je suis, comme j'ai changé, tu ne poses pas de question tu me tiens contre toi simplement, comme c'est intuitif d'être là près de ton corps. ma douce ophélie envolée à toronto, ton intelligence si fine des choses sensibles, je la voudrais chaque jour à mes côtés, je voudrais t'entendre de si loin dire ces mots justes, et protéger ton corps frêle, tes vingt ans devant lesquels je me sens le devoir d'être grande soeur. mes alliées, mes alliées précieuses et indéfectibles. pauline fidèle amie de ma toute petite enfance, à quatre ans nous avions la même maîtresse et nous avons appris à lire ensemble, kossi, amira, mélanie, erwan, je me souviens de chacun d'entre eux, nous étions toute une bande à se suivre, d'une classe à l'autre, on ne faisait pas tant de discours sur la multiethnicité mais on la vivait dans les cantines, les cours de récré, les parties d'anniversaires, eh bien pauline et moi nous serons à nouveau voisines, trois rues qui nous séparent, bientôt dans ce nouvel appartement-refuge très loin des quartiers qui m'emmerdent royalement.

et toi mon amour, toi je pense à toi si fort, tes bras, ta nuque entre mes mains, ta peau douce, tes yeux atlantiques, ton sexe, le dirai-je assez, tout de toi qui m'obsède, et je pense à nous, je vis cette histoire avec tant de confiance et de liberté — tu te moquais, un peu, de mes idées emportées mais tu respectais ça aussi, mes vingt ans mon désir fou mon enthousiasme ma curiosité ma peur, tu disais que tu admirais peut-être ça, partir si jeune si longtemps si loin si seule, et puis tu n'avais pas ce regard de vampire affamé de chair féminire que les hommes souvent posent sur moi, tu étais discret, à l'affût, prêt à me sauter à la gorge lorsque j'aurais abaissé ma garde et cessé de me protéger, d'avoir peur de l'amour à nouveau — tu l'as fait une nuit, oui tu m'as sauté au cou et glissé ta main derrière mon cou et écrasé ta bouche contre la mienne, dans le noir, le soir, avant que je ne sorte de la voiture, somnolente, indifférente à tout, même à ça.

très doucement tu es venu à moi, je vivais tout légèrement, heureuse, curieuse, pas farouche, et tu as pris la place d'un autre, chassé le dernier nuage gris, gris très foncé, gris prêt à éclater, tu as mis tes mains sur mon ventre et ton menton sur mon épaule et ton sexe en moi et c'était là, langoureusement, cet amour naissant que je n'avais pas deviné, prise par surprise. je voyais mes amis, je dansais des heures durant avec d'autres types qui voulaient m'épouser peut-être, mais quelle importance ? tout ça t'était égal, tout ça ne te regarde pas, la seule chose qui soit vraiment substantielle c'est cette confiance réciproque, ce désir permanent, et ce refuge que nous trouvons l'un près de l'autre. tu ne comprends pas toujours pourquoi je pleure, tu ne comprends pas mon écriture, ma folie douce, mes désirs criants et débordants le corps, parfois je ne contrôle plus rien, mais tu devines tout cela si bien, tu le pressens, tu me prends à toi et l'angoisse s'apaise seulement entre tes bras. cet été dans les jardins du luco cette phrase attrapée au coin d'un bosquet vert sombre irisé : “on se comprend tellement bien, on n'a même pas besoin de parler, on sait tout de suite, précisément, exactement, on se ressemble tellement”. ah bon, c'est assez amusant, moi je ne dirais pas ça du tout. je dirais que tu ne me ressembles pas, que nous n'avons pas les mêmes intérêts, que parfois on croirait ne pas parler de la même chose, que nous avons besoin des mots pour tenter d'expliquer, et que tu écoutes, et de façon tellement extraordinaire — en revanche la communication par clins d'oeil et petits signes de couples ayant établi un langage codé qui retranche à l'écart des autres, ça n'est pas ma tasse de thé. tout à la fois je sais que tu te moques tendrement de mes élans impulsifs, de mon ridicule, de mes excès, mais finalement ça t'importe peu, c'est moi que tu aimes, pas mes apparences, pas mon maquillage ou mon non-maquillage, pas mes chaussures à talon ou mes tennis — c'est à chaque fois comme si je prenais vie dans ton regard émerveillé, comme si j'existais et t'aimais et que cela suffisait.

tu es parti et je crois — tant mieux, c'est une nouvelle expérience, celle du manque, de la tristesse, c'est aussi la question folle et angoissante de ce que l'on devient, si longtemps absent l'un à l'autre, que se passe-t-il, est ce que je tombe encore amoureuse, est ce que je m'éparpille, est ce que mon amour fou pour toi jamais déçu continue à tout emporter, absorber toutes les nuits ? je ne sais pas. et j'aime bien dire que je ne sais pas. j'aime bien que ce soit nouveau. qu'il n'y ait aucune routine, mais au contraire le surgissement du doute, la peur viscérale que tu ne sois plus là, la remise en jeu permanente de nous. je ne veux pas que les choses aillent de soi, qu'elles soient acquises d'avance, confortables, et puis quoi ? je veux l'exaltation, la conquête de chaque jour, le don comme une offrande.

dans la lumière blanche et aveuglante de midi j'expliquais à P que je venais de passer une année dans une ville où le regard ne compte pas, ou si peu, lorsqu'on avait pris l'habitude d'évoluer dans les quartiers de la mode, de l'apparance déterminante, de la catégorisation effective et immédiate ; à Seattle personne ne prêtait attention à mes talons, mes pantalons bien coupés et mes jupes courtes, mes seins s'échappant et mon visage maquillé — à Seattle si on le veut on sort le dimanche matin en tongs et en pyjama pour trouver au Starbucks le plus proche du café brûlant et des muffins aux blueberries, on parcourt le centre grouillant de la ville portant n'importe quoi, des mini-jupes personne n'aurait jamais sifflé ou murmuré un commentaire abject et dégoûtant — qui aurait remarqué de toute façon ? et puis j'avançais légère et en dehors du regard, du seul fait d'être étrangère. aujourd'hui à Paris je crois que je retiens un peu de cette légèreté et de cette ignorance des codes sociaux que je connaissais bien par coeur il y a un an, quitte à paraître idiote, tant pis tant que je me sens bien, j'avance toujours certaine du mouvement et le regard des petites filles modèles des quartiers riches m'importe moins, je crois. aussi parce qu'un garçon m'a aimée sans jamais s'attacher à cela, lui c'est sans vêtement, sans maquillage et sans bijou qu'il m'aime, nue entière mon corps pour lui, le bel abandon en n'appartenant toujours qu'à soi. cette extraordinaire liberté que ton regard posé sur moi me laisse. cette folle liberté de mes gestes, dont tu ne me demanderas jamais de compte. je t'aime, mon tendre, et je me sens libre, libre comme le vent, jamais soumise, jamais prisonnière. merci de ce bel amour sans condition.

 

listening to Stacey Kent, The Boy Next Door

 

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