Avril-Mai
2006, Seattle-Vancouver |
La
vie sera rouge, ou ne sera pas |
1er avril 2006 Rouge, red, rot, rosso, rojo, vermelho, rood, rød, akai. Rouge cardinal, rouge carmin, rouge vermillon, rouge fraise, rouge d'aniline, rouge cerise, rouge sang, rouge corail, rouge coquelicot, rouge bourgogne. Rouge comme le pull d'Anna, rouge comme les arbres de Nicolas de Staël, rouge comme le théâtre japonais. Rouge, rougeâtre, rougeoyant, rougaud, rougi. Mes yeux sont rouges quand j'ai pleuré. Mes joues sont rouges quand on m'offense. Mon sang est rouge quand je saigne. Le mouvement est rouge, la vie est un flot, le sang coule dans mes veines. Le soleil est rouge lorsqu'il s'effondre dans la mer et la terre est rouge quand des trombes d'eau la charrient. Des coquelicots, des pivoines, des azalées rouges. Une effusion de rouge qui sature l'atmosphère, qui doit être expulsée dans une déflagration, qui sépare le ciel dans un éclair. La vie se vit en rouge.
11 avril 2006 - Vancouver Les tours de Vancouver sont habillées de verre et les buildings dessinent la ville en vert. En tandem nous traçons le contour des plages, des parcs et de la rivière, au marché couvert de Grandville Island j'achète du pain et du saucisson que nous mangeons sur des bains de bois au bord de la Fraser river, la vie est très douce à Vancouver, et toujours cet étonnement, comme un coup au ventre, devant les montagnes noires, parfois aux sommets blancs, tout autour de l'eau claire, le silence tombé de l'obscurité pour recouvrir la ville.
12 avril 2006 L'amour passion ? Peut-être pas. Mais chaque nuit où je dors loin de lui, je souffre, ses bras me manquent, je crois que le sommeil ne viendra pas. Alors peut-être que c'est quand même l'amour fou, la folie indéfinissable de cette confiance absolue, de cette douceur entre nous, peut-être que sous la grande mer calme, l'eau remuée est puissante.
14 avril 2006 - Six jours Six jours sans toucher à son corps, six jours sans se blotir entre ses bras, six jours sans dormir la tête enfouie contre sa poitrine. J'y pense chaque soir, l'absence de son corps m'obsède — sa peau, ses mains, son visage, sa poitrine, ses bras, ses cuisses, son sexe me manquent. L'habitude du corps de l'autre est quelque chose de terrible, cette attente, ce désir de retrouver chaque jour, comme dans un rituel, le corps contre lequel on se lovait. Mais au bout de cette attente, c'est le corps entier que l'on redécouvre, et même s'il n'est pas devenu en si peu de temps étranger, même si l'intimité renaît, le corps de l'autre est une surprise, une piste nouvelle, une chair à caresser avec l'émerveillement des premières fois.
15 avril 2006 Vins blancs, vin californien (Napa Valley), vin espagnol, quatre verres et même si je ne suis à ma place nulle part, je me faufile d'un groupe à l'autre, je souris, je danse, j'ai les yeux qui brillent dans le salon éclairé de bougies, la rue a été plongée dans le noir, les lumières de l'autre côté du lac se reflètent sur les paupières, ou peut-être que ce sont les paillettes d'ombre appliquées au pinceau, tout brille et scintille, et je continue ma promenade nocturne entre les petits groupes qui goûtent des rouleaux de printemps, et parlent anglais, français, québécois.
16 avril 2006 - l'ennui Le dimanche soir amer, le même goût qui revient depuis trois ans. Le souvenir indéfaisable du train qui éloigne du refuge, de la tranquilité, de la quiétude ; qui rapproche de l'agitation, des nuits sans sommeil, de la chair à vif dans la ville acérée. Dimanche soir et je ne prends plus de train, mais l'amertume est restée. Le pessimisme noir, la démission de tout enthousiasme, la tête plongée sous des oreillers et sourde à toute parole. Je veux les rencontres, les conversations sans fin, les rires fous, ceux avec qui partager, donner, recevoir. Je veux donner des rendez-vous dans les cafés aux quatre coins de la ville, je veux marcher la nuit dans le ventre citadin grouillant avec des amis attachés à mon bras, je veux embrasser à pleine bouche les garçons inconnus aux regards flamboyants, je veux rencontrer parler être intéressée. Je suis très seule, je supporte cette solitude de vivre mais pas l'absence d'échange, d'interlocuteur.
17 avril 2006 Mon
frère apportait dans ses bagages mes commandes littéraires
: On the road, Moderato cantabile, L'Eté 80, L'Amant.
J'avais entamé le roman de Kerouac il y a deux ans, je le lisais au
mois de juin sur le bord des vacances, j'en parlais je me souviens
le soir où nous sommes allées à Rambouillet écouter les mains folles
d'un poète courir sur le clavier d'un piano. C'était encore un livre
qu'elle avait lu, qui lui venait de Nouvelle-Zélande, et qu'elle m'avait
mis
entre
les mains. Et puis, je ne sais pas pourquoi, je ne suis pas allée au
bout. Cette année, dans ma vie un peu américaine, dans mes escapades
à travers les Etats-Unis, j'ai voulu relire Kerouac et la beat
generation.
18 avril 2006 - alcool et désir L'alcool qui a parcouru le sang, rougi les joues, rendu les yeux brillants, vidé l'estomac, me donne la liberté de devenir séductrice, fatale, tranchante, par ce désir qui n'a plus aucune limite, qui est laissé libre de dévaler les pentes et de tout engloutir comme une vague gueule béante bordée d'écume. Le désir me tient debout, l'alcool me fait piétiner les conventions : être ailleurs, hors société – comme Anne refuse l'écoeurant canard à l'orange et quitte le dîner, abandonnant ses invités. “ Il n'y avait pas à attirer le désir. Il était dans celle qui le provoquait ou il n'existait pas. Il était déjà là dès le premier regard ou bien il n'avait jamais existé. Il était l'intelligence immédiate du rapport de sexualité ou bien il n'était rien.” [Marguerite Duras, L'Amant, Minuit, 1984, p.35]
19 avril 2006 - Enfance Je
lis la biographie de Marguerite Duras écrite par Laure Adler.
Le premier chapitre, "les racines de l'enfance". Marguerite
Duras a écrit que
son enfance n'était que la vie vécue, pas la vie rêvée,
pas d'imagination. Les yeux grand ouverts, trop vite, trop brutalement,
sur le monde et
ses couleurs. Pas d'enfance douce, protégée. Je ne me
retrouve pas dans cette enfance dure, marquée par le manque
d'amour, mais je comprends bien l'expression "simplement la vie
vécue", "pas d'imagination". Je
ne rêvais pas petite. Un ou deux cauchemars dont je me rappelle
encore, mais pas de souvenirs de mes rêves en me réveillant.
Je n'écrivais
pas dans des journaux, je ne savais pas m'occuper, je m'ennuyais pendant
les vacances, au moins l'école m'occupait, même si dès
le collège je
n'aimais plus trop ça, l'ambiance méprisante, fade et
uniforme. Je ne m'amusais pas toute seule dans le jardin en observant
les abeilles
qui tournaient autour de la lavande, je n'avais pas l'idée de
construire, de fabriquer, de cuisiner. Je construisais une cabane de
parapluies
dans le jardin et puis ça me lassait trop vite. On s'entendait
peu avec mon frère, on finissait toujours par se battre
et trop violemment, j'ai finalement eu peur de sa force. Je
ne savais pas inventer des
mondes imaginaires, me raconter des histoires, rêver allongée
dans mon lit, d'ailleurs je n'aimais pas traîner le matin, à sept
heures j'étais debout. Heureusement il y a eu l'équitation.
Et puis au lycée,
le temps passé dans les livres, j'apprenais le plaisir de lire
dans une chaise longue au soleil ou tard la nuit dans ma chambre.
Alors cette enfance n'a rien de fantastique, de rêvée,
elle n'est pas peuplée de mondes imaginaires ou d'histoires
inventées, elle
est banale et terre-à-terre.
21 avril 2006 - ocha Voilà, il suffisait de patienter, de me laisser le temps d'aimer cela, comme il a fallu le faire pour que j'apprécie le vin (blanc) et m'enivre : je bois du thé chaque jour, du thé à l'arôme fort (oranges et épices), du thé vert, je le bois le soir, quand la nuit est tombée.
24 avril 2006 - hands Mon amant a les mains les plus douces, mon amant a des mains de soie, mon amant a des doigts de fée. Doigts fins et fragiles, mains toujours soignées, la peau si douce sans jamais la protéger, et ces mains qui sans cessent se referment sur moi, réchauffent mes pieds froids, courent sur mon dos, entourent mes seins. Mon amant me fait l'amour de ses mains agiles et caresse mon corps aussi délicatement qu'une ombre, alors je m'endors, enfin rassurée, par ses mains, instruments de sa douceur.
25 avril 2006 Duras, chaque jour, tous ces livres qui me passent entre les mains et parlent d'elle, ses romans. La violence de son enfance, manque d'amour, pauvreté, misère, violence physique, corps vendu, petite fille que personne ne protège. J'ai eu le coeur soulevé, presque envie de vomir, en lisant les pages qui décrivent l'attitude du frère brutal, Pierre. Le sentiment d'être une pute, la sale culpabilité, lorsqu'on laisse son corps à la possession d'un homme que l'on n'aime pas, qui dégoûte. Être une femme et ne pas se considérer soi-même comme une pute, c'est très difficile. Ne pas se sentir dégradée quand un garçon profite uniquement de notre corps et que nous voudrions son amour, quand nous-même livrons toutes nos forces dans l'amour donné, c'est impossible. Si tant est qu'on soit honnête avec soi-même, entière, profondément intègre. Fréquenter des hommes que l'on aime, qui ne nous aiment pas, n'être qu'objets de désir, c'est absolument insupportable, inacceptable, et même sans que s'inscrive la question de l'argent ; le déséquilibre de ces relations, où l'amour immense se donne contre l'indifférence sentimentale, me dégoûte et rien ne devrait exister entre deux personnes si ce n'est l'amour. Les relations par distraction ne sont pas acceptables.
8 mai 2006 - Duras en overdose A trop lire Duras, je me perds, je me détruis, j'éboule tout et les interrogations m'obsèdent jusqu'au creux de la nuit. Je ne peux pas à vingt ans avoir l'expérience, la vie et la liberté qui sont celles de Marguerite à plus de quarante ans.
9 mai 2006 - le corps plongé dans le monde Ces
choses que je comprends petit à petit, à force de les écrire, de chercher
à les dire. Ce besoin de toucher, de sentir, d'être caressée, c'est
parce que c'est la seule issue pour se croire vivant, pour éprouver
son corps dans le monde, pour toucher l'existence qui paraît si absurde
et inexplicable. Je ne m'explique pas le mystère d'être,
je n'y cherche pas d'origine, je le vis, seulement. Je ne connais pas
de raison à vivre ; alors la seule chose qui me rattache
à la vie, m'en donne une preuve — rien d'autre ne me fait
autrement y croire — c'est cette présence du corps dans le monde,
cette prégnance
immédiate. La vie ça ne s'explique pas. La mort et le devenir poussière,
ce sera demain. C'est un laps de temps trop court, insignifiant, qui
n'a pas de justification. Il faut se jeter corps et âme dans
le monde pour se croire existant, pour se sentir vivre, et refuser
le suicide qui serait la seule réponse à l'absurdité d'être.
10 mai 2006 - crumble Disposer dans un plat des morceaux de rhubarbe (1 à 2 cm de largeur), puis des fraises coupées en deux. La pâte à crumble se prépare avec de la farine, du sucre, du beurre, et un peu de poudre de noix de coco. Cuire au four pendant 35 à 45 minutes. Le résultat fut étonnament bon.
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