Décembre 2005, Seattle/San Francisco/Paris |
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3 décembre 2005 Et ma tête
tourne quand les cheveux de bois du carrousel bondissent, quand les
lumières de Noël brillent
sur le sapin gigantesque, quand mes mains se retiennent à la tige
vrillée et dorée, quand tes yeux qui rient me disent que
je suis belle.
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4 décembre 2005
Pourquoi est-ce que tu pleures ?
- Tu sais bien. Tu sais que je suis encore une petite fille parfois.
- Oui je sais. Mais j'oublie. Je l'oublie.
Pourquoi est-ce que tu pleures ?
- Parce que je n'aime pas qu'on ne se parle plus. Parce que je n'aime pas que toi et moi nous soyons en colère. Parce qu'on ne devrait jamais parvenir à ces situations.
- Mais peut-être que parfois il vaut mieux se taire pour ne pas se dire le pire.
Les yeux verts d'avoir bu toute la lumière de l'après-midi, noyés dans l'eau d'avoir trop pleuré.
5 décembre 2005
Peau claire et pâle, joues brûlantes et fiévreuses, yeux verts et brillants. Un trait de khôl noir et charbonneux sous l'oeil pour avoir le regard blessant, du mascara pour allonger les cils jusqu'à te séduire, un tube de rouge pour rendre les lèvres charnues, lisses, satinées. Le froid d'un trait dehors qui s'empare de moi et agrippe mon visage apprêté.
6 décembre 2005
Tant d'amour que tu me donnes, tant d'amour envers moi et malgré moi, tant d'amour devant lequel je ne résiste pas. L'éloignement qui accentue mon attachement, et la tendresse qu'à mon tour je voudrais te donner.
11 décembre 2005 - San Francisco
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12 décembre 2005
L'ambiance extraordinairement sereine et décontractée à San Francisco ; la douceur du temps, ciel bleu dégagé et 25 degrés à trois semaines de Noël, les palmiers sont décorés de rubans rouges. San Francisco est une ville douce à vivre, calme, où la foule ne semble jamais pressée, où l'on déambule lentement, sous le soleil doux, prêt à goûter aux pinces de crabe sur le port ou au chocolat Ghirardelli fondu dans une crêpe de froment... Je marche seule, tranquillement, toute entière dans la ville dont je me souviens, cinq ans plus tôt - je respire le bonheur.
13 décembre 2005
Je repense à toi, je me demande si la vie toujours pareille se déroule comme un long ruban de velours pour toi, je repense à ce que j'ai aimé de toi, et que j'aimerai peut-être toujours, mais le désir s'est effacé, et du souvenir de certaines nuits d'amour c'est l'écoeurement qui surgit, ce sont des grimaces de dégoût qui me tordent le visage.
15 décembre 2005
Les yeux bleus turquoises qui n'en finissent pas de me sourire, ceux du jeune Américain croisé chaque jour dans le bus. Ce sourire pour lequel mon coeur s'emballe...
16 décembre 2005
Le petit restaurant italien de Pike Street que j'aime tant, Via Tribunali, les lumières tamisées, les bougies dont la flamme vacille à chaque entrée - dehors le froid est glacial -, les rires autour d'un verre de Pinot gris, des pizzas, des calzones et des lasagnes, j'entends Carole qui parle italien et les sourires entre Clara et moi sont complices, mon chéri a trop bu je crois j'en suis presque gênée, et plus tard, ailleurs, dans un bar où l'on ferme les yeux sur mes moins de vingt-et-un ans, je commande un "ménage à trois" : bacardi, champagne, cointreau. Je suis ivre, folle et légère.
18 décembre 2005
Dernière soirée passée ensemble à Kirkland avant que je ne retourne en France ; il m'emmène dans un restaurant thaï dont le fond du bar est recouvert de planches de bois, le cuisinier s'active au-dessus de plats de nouilles et de grilles où grésillent les crevettes roses. J'ai envie d'être avec lui, toute pour lui, la douceur qui existe entre nous quand je ne joue pas l'arrogante-susceptible-capricieuse, son regard bleu posé et son visage lisse, calme, qui me rendent souvent plus sereine. Le serveur m'apporte des crevettes grillées dans une sauce aux nois de pécan et au curry, avec des épinards frais et une boule de riz. La soirée s'écoule tranquille, je me baigne dans tes yeux et je voudrais te garder longtemps près de moi, mon homme qui ressemble à un petit garçon, si tu savais comme ce manque d'arrogance me plaît, j'en ai pour deux mon chéri je partagerai, la modestie la gentillesse et la discrétion qui cette fois-ci m'ont touchée sans que je ne sache moi-même que je retombais dans le piège d'être amoureuse.
20 décembre 2005
London Heathrow Airport, midi à quelques heures près, je suis perdue dans les fuseaux horaires.
Il m'adresse la parole, justement pour une question horaire, et son accent n'est pas le drôle d'accent british qui me fait mal aux oreilles tout autour de moi, c'est un bel accent américain, et ce jeune homme gentil, curieux, attentif, me parle de son pays, de l'Europe, de la Chine où il vit, du Japon où il est allé - mais jamais à Tôkyô, toujours dans la campagne japonaise. J'ai le rire léger et facile, je pourrais pleurer tout aussi bien car la fatigue m'attaque, je sens son regard sur moi parfois, et sur un bout de papier je récupère une adresse email, contre laquelle j'échange mon plan de métro parisien.
21 décembre 2005
Enfin, rentrée à la maison. Le voyage a paru si long : trois avions, des heures d'attente, de mauvais sommeil, deux continents et la gentillesse, la curiosité de mon jeune Américain croisé à Londres. Le jet-lag passe mal, j'ai mal à la tête et au coeur et je me sens vide, la tête vertigineuse et les idées en vrac. Peut-être que c'est le retour qui est plus difficile que le départ : c'est le moment où la langue maternelle surprend l'oreille, c'est le moment où tout paraît étrange, et pourtant exactement pareil à ce qu'on a laissé, c'est aussi s'apercevoir justement que les choses changent peu, qu'elles se font sans nous. Le jet de ma douche ce matin n'était pas si fort que pour toutes les douches prises aux Etats-Unis. La nourriture n'a pas la même saveur. Ma maison est toujours ce lieu de réconfort, de sécurité, cet endroit où je me sens souvent bien, toujours identique à ce que j'ai toujours connu, imperméable aux années qui s'écoulent et gardienne de mon enfance sage. Chaque chose est à la place à laquelle je l'avais laissée. Il n'y a que ma soeur qui ait changé, un peu. Il y a ce sentiment étrange, d'être partie très loin, d'avoir appris, d'avoir changé, d'avoir eu les yeux emplis de nouveauté - et de rentrer en retrouvant ce qui ne semble pas avoir évolué dans le même temps que celui que j'ai connu. Je pleure de fatigue je crois, je pleure aussi de ne pas savoir dire davantage à mes parents que je les aime, et à quel point je suis heureuse d'être ici, avec eux. Je n'ai pas envie d'aller à Paris, je ne crois pas que j'irai. Seulement pour prendre mon train vers l'Auvergne, si je finis par acheter des billets, aller passer quelques jours près de Clermont avec des gens que j'aime, et qui m'apportent la même douceur, la même sécurité, la même protection, que celles qui m'entourent ici.
La journée passe doucement, entre cachets de Doliprane, discussions en anglais, la fin de mon Great Gatsby et le début du Siècle des Lumières de Carpentier ; ma jument qui a tant changé, que je trouve absolument superbe et curieuse et attachante, que je laisse trotter libre dans la petite carrière, partir au galop, s'arrêter soudain, aller sentir les autres chevaux dans le pré d'à côté, revenir vers moi. Demain je me sentirai mieux et je pourrai la monter. Il y a l'angoisse de ne pas savoir comment m'y prendre, de me faire avoir aussi par ses sautes d'humeur qui peut-être me mettront par terre. Depuis les chutes de cet été dans les champs, j'ai peur, mais je veux reprendre confiance dans ma jument.
Et puis mon amoureux arrivé à Paris aujourd'hui, mon amoureux dont la tendresse me manque, mon amoureux qui ressemble au Petit Prince. Personne ne passe son bras autour de ma poitrine pour que je m'endorme rassurée. Les nuits sont difficiles, le sommeil va et vient, je voudrais que ses mains passent à travers mes cheveux et sur mon visage.
L'émotion qui rougit mes joues quand un chéri qui guettait mon retour me demande où je passe mon réveillon du Nouvel An - car c'est avec moi qu'il veut le passer.
22 décembre 2005
Le jet-lag qui continue à me retourner le coeur, à m'empêcher de dormir plus de trois heures par nuit. Je suis fébrile, vacillante, j'avance sans avoir le pas assuré, j'ai peur de tomber au milieu de la foule qui se rue sur les disques et les vêtements dans le grand centre commercial, ce bouleversement d'entendre parler français autour de moi et de tout comprendre - quand je m'étais habituée à évoluer sans appréhension dans un silence bruyant, les mots m'échappaient, et je ne m'en inquiétais plus - chaque chose viendra en son temps.
Je me sens trop faible, trop fragile pour me lancer dans le froid et affronter Paris ; j'aimerais voir M, je sais bien que le désir d'avancer très fière et de jouer l'imperturbable au bras de ma chérie me tiraille, nous irions à la Pâtisserie et puis au Vieux Colombier, boire un chocolat chaud aux Deux Magots et traîner à La Hune, je tiendrais très fort sa main très fine serrée au creux de la mienne, nos cheveux confondus et nous nous ririons du monde, nous avancerions fières et sauvages, remplies de nos rêves fous et de nos écritures débordées, nous parlerions de nos amours tendres - pour une fois que la violence semble céder sa place - et nous ne cesserions pas de nous dévorer des yeux, de nous admirer, de nous aimer.
Je me tiens droite mais je suis attachée au bras de mon petit frère retrouvé, je le trouve si beau mais tellement ironique que cela me fait peur - je sais à quel point le cynisme est ravageur - et ma soeur qui grandit, ses longs cheveux bruns encore plus fins que les miens, la demoiselle a du vert sur les paupières, par-dessus ses yeux noisette.
23 décembre 2005
Les cheveux raides comme des brindilles, parfaitement droits, parfaitement lisses. Il faudrait leur mettre un soin, dit la coiffeuse. Je n'ai qu'une envie, les teindre à nouveau au henné. Je ferai ça peut-être pendant les vacances avec ma soeur, qui armée de gants passera ses mains dans mes cheveux devenant orange. Les cernes violettes ne quittent pas mon visage. J'ai le corps rond, tout en formes, la taille très fine et le ventre tendu, les hanches fantastiquement larges et les cuisses arrondies, les fesses rebondies. J'aime ces formes, elles sont voluptueuses, ou simplement féminines. Je m'habille de noir pour que ressorte la blancheur de la peau sèche, trop sèche parce que - l'hiver.
L'hiver et la chaleur à l'intérieur des maisons, mes joues rouges et brûlantes, le gâteau aux amandes et au chocolat noir, le sapin et l'odeur de pin dans toute la salle à manger, les recettes éparpillées sur la table, les cadeaux qui petit à petit s'accumulent au pied du sapin (mais rien ne se sera ouvert avant le matin du 25 décembre), les rires et les macarons Ladurée dans la jolie boîte vert amande, et mon père qui est en vacances - enfin.
La chaleur entre les bras de mon amoureux, à laquelle se substitue, en douceur, celle qui m'entoure au sein de ma famille, l'amour que tous me donnent.
24 décembre 2005
Rien d'autre à écrire que le bonheur tranquille, le grand calme heureux, ma jument de jour en jour plus douce, le film qu'on regarde avec mon père l'après-midi enfoncés dans le grand canapé de cuir, le foie gras, le saumon et les coquilles Saint-Jacques, les photos de mes trois mois aux Etats-Unis que l'on regarde et commente tous ensemble, et l'impatience d'être au lendemain matin, lorsqu'à plus de minuit ma soeur et moi montons dans nos chambres, pour raconter nos secrets - des secrets qui parlent de garçons bien sûr.
25 décembre 2005
Papa m'a offert un petit carnet d'écriture avec des lignes bien régulières, et une écharpe de cachemire dans des tons rosés.
26 décembre 2005
Le temps qui n'altère rien, qui ne modifie pas les relations d'amitié profonde, qui laisse intactes les sensations qu'une personne entraîne. Je la sers si fragile entre mes bras, et soudain je suis là pour elle, je suis là autant qu'avant, je suis là écoutant de la façon dont je l'ai toujours fait. La distance, presque absence, ne change rien.
29 décembre 2005
Le bonheur fou de revoir ma belle chérie, de la tenir serrée entre mes bras, de poser mes lèvres sur ses joues, de glisser mes doigts entre ses beaux cheveux bruns, tandis que la foule descendue du train passe autour de nous, et que je me réfugie auprès d'elle, dans ce pays d'Auvergne que j'aime tant, parce qu'il est le sien, parce qu'il est presque comme un refuge, parce que les personnes que j'aime y sont. Le flot s'écoule autour de nous, nous ne sommes que deux à voir l'amour qui court entre nous, l'étreinte puissante qui nous lie, et soudain je me sens revenue comme le bâteau qui rentre en son port, après avoir affronté les tempêtes de la haute-mer.
30 décembre 2005
La nuit nous parlons tard, dans le lit double tant creusé que nous roulons l'une vers l'autre ; nous disons tout ce que de rares emails en trois mois n'ont pas eu le temps de dire. Lorsqu'elle éteint la lampe de son chevet, je pose un baiser sur sa joue, je la sens près de moi, et je me trouve protégée, très au chaud, baignée dans l'amour réciproque que nous nous portons.
Elle porte le collier de pierres vertes et de bronze que je lui avait offert pour ses vingt ans. A l'oreille elle me glisse : “je suis heureuse que tu sois là”.
31 décembre 2005
Discussions dans la pénombre, mots doux avoués avec pudeur, redevenue une adolescente timorée et effrayée par les crépitements amoureux qui s'agitent en elle ; mes joues brûlent, mes gestes sont gênés, la timidité me retient. C'est la même émotion qui m'envahissait à quatorze, quinze ans, qui me court sous la peau, et me rend hésitante, débarrassée de mon assurance de femme désirée. Je souris, je me fais douce, et je m'enfuis. Je suis bouleversée.
Plus tard, quelques paroles glissées à l'oreille, et je le suis, et je ne sais pas vers quoi j'avance - mais j'avance, je me fais violence, je pose mes lèvres sur les siennes, et je retrouve ma chaleur de femme aimante et protectrice, mes mains s'enlacent autour de sa nuque que je tiens près de mon visage, mes lèvres encore qui brûlent près des siennes, mon corps appuyé sur le sien raidi et tendu, et il y a cette flamme qui palpite très doucement, ce sentiment d'amour profond et tumultueux, mais que je tais, que je retiens, tant que nous ne serons pas réunis.
Amours adolescentes et violentes.
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