Novembre 2005, Seattle/Chicago |
1er novembre 2005
Je crois que mon corps ressemble à ça.
Je ne m'aime pas beaucoup en ce moment. Cuisses qui se touchent et se frottent, ventre qui se relâche, poitrine de plus en plus large. Je ne sais pas, courir, faire du vélo, remuer, parce que je ne mange même pas beaucoup. Mon corps qui me rend parfois si triste de ne pas être comme je l'aimerais.
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2 novembre 2005
Est-ce que je serai capable de ça ? Est-ce que je saurai vivre avec quelqu'un d'autre ? Quelqu'un qui m'aimera et voudra tout savoir, où je suis, qui je vois, quand je rentre ? Et ce sera normal peut-être, je ne sais pas, mais ai-je envie de ça ? Maintenant, avec mes vingt ans et la liberté qui me court dans les veines ? Je ne suis pas sûre. Je ne crois pas. Je viens d'apprendre l'indépendance, je n'accepterai pas facilement qu'on me la retire, ni si vite, ni que cela m'arrive - sans que je sois amoureuse. Je n'ai pas envie de cela. Mais il y a aussi un côté excitant, une expérience à tenter, des moments agréables à passer - des balades la nuit le long du lac, des rires le soir en regardant la télévision américaine pour travailler notre accent, la cuisine partagée et les gâteau les crêpes les plats préparés comme en France. Peut-être, on essaiera. Mais je ne reste pas. Je ne m'attache pas. Ca m'ennuie, je n'ai pas envie de ça, j'ai envie d'embrasser les types à pleine bouche sans me soucier d'un autre, j'ai envie d'aller encore légèrement folle dans des rues la nuit sans savoir vers quoi ou vers qui j'avance, la peur qui tiraille un peu l'estomac et je ne veux pas être protégée - c'est très simple, je ne veux pas vivre avec un garçon. Je veux qu'on me laisse ma solitude. Ma liberté. Ma perle rare.
4 novembre 2005 - Insurrection
Avant de m'en aller vers "Wind city", je parcours la Une du Monde, je lis tout ce qui arrive en France, et tout ça pour moi à le goût de la révolte, et ça s'enflamme, et ça flambe, et ils prennent leur revanche sur la République qui les a oubliés, quand il y a trop de cris et d'appels étouffés, bien sûr que cela explose, ne ressort qu'avec violence, et les photos qu'on rapproche, mai 1968 et octobre/novembre 2005, bien sûr qu'on y pense, et je crois que le mot qui vient aux lèvres c'est : insurrection.
5 novembre 2005 - Chicago
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6 novembre 2005 - Chicago
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7 novembre 2005 - la maison, le lieu de vie, le chez-soi
Dans ma poche tintent les clés du nouvel endroit où je vis. Joli appartement au quatrième étage d'un immeuble presque balnéaire, au-dessus d'un ovale d'eau turquoise, en retrait du lac et des lumières de la ville, appartement qui s'offre à moi déjà habité et habillé - j'y pose simplement mes affaires, dans l'entrée, je rangerai tout cela plus tard, je fouille dans mon sac pour en extraire la liste des courses écrite cette nuit prise d'une lubie, je m'en vais dans la nuit froide du Kirk Park, je reviens bientôt les bras chargés de sacs en papiers remplis de fruits, de légumes, du lait, des oeufs, du sucre, des yaourts et du fromage. Du chocolat Lindt, bien sûr. Je range toutes les victuailles dans le frigo presque vide, je sors une poêle, je fais grésiller des rondelles de courgette dans une flaque d'huile d'olive, je prépare du jambon et de la laitue citronnée. Je me sens chez moi. Je me retrouve seule seule seule - j'en ai besoin j'ai trop donné ce week-end - et j'aime cuisiner doucement, à mon rythme, toujours simplement, et finir avec les quartiers de pomme, le carré de chocolat noir. Calme de la soirée ample, le temps d'écrire, d'écouter des chansons lentes, de remettre en ordre la cuisine qui déjà devient mon lieu, d'éparpiller mes vêtements dans la chambre, de poser les produits de beauté en bon ordre dans la salle de bains.
Et puis, parce que j'aime bien les listes, j'en rajoute une à celle des courses, ce sont les choses à faire lorsque Noël s'en viendra :
- regarder La Peau douce
- marcher dans les Jardins du Luxembourg
- voir les peintures de Klimt, Kokoshka et Egon Schiele sous la verrière du Grand Palais
- boire un chocolat chaud crémeux et fondant chez Ladurée, ou bien aux Deux Magots
- passer de longues heures d'hiver dans les rayons toujours bien fournis de Compagnie
- monter ma jument
- parler avec mon petit frère, l'écouter raconter, rire avec lui
- dormir serrée au corps de ma belle brune peau pâle nuisette rouge
- tenir entre mes bras ma chérie aux cheveux d'or
- regarder Lost in translation (c'est le temps, le moment de l'année qui voudront ça)
- faire des gâteaux au chocolat
- regarder les longs films des vacances de Noël dans le salon en parlant avec Maman
- acheter les cadeaux de Noël avec mon Papa, en sachant bien qu'il y aura toujours des choses que je n'avais pas aperçues ni devinéesqui cacheront le pied du sapin au matin du 25 décembre...
10 novembre 2005 - l'amour devenu dégoût
Il est allé plus loin que je ne l'aurais jamais imaginé, il a fait tomber sur moi une cape de honte, il a tourné mon écriture au ridicule -
L'envie de vomir encore une fois qui vient aux lèvres, presque pas de larmes parce que c'est lui qui m'a appris à ne pas pleurer pour un garçon, seulement plus tard je penserai aux veines bleues, au sang rouge, à la chair coupée, à l'eau du bain qui prend la teinte du sang, - et puis non, non, non ! - pas pour lui.
Je me nourrissais des derniers moments passés ensemble, les moments parfaits, ceux où nous avions peur de ne plus nous trouver - et soudain ce sont les souvenirs sales qui reviennent, le goût acide des nuits immondes, les choses que je tolérais qui deviennent tout d'un coup insupportables, que je ne peux plus regarder de face sans me demander comment, comment ai-je fait, comment ai-je accepté ?
Je me fous des autres, mais pas de lui.
Il est allé plus loin que je ne l'aurais imaginé, il m'a détruite en me retirant sa tendresse, je continuerais à vouloir l'aimer s'il n'avait pas tant parcouru le chemin de la cruauté, je ne lui en veux pas mais simplement : le dégoût devient plus fort que l'amour.
Je ne le hais pas, je ne le déteste pas ; je ne veux plus jamais me trouver en face de lui. Je ne veux plus le revoir, je ne saurais même pas dire "non". Je veux réapprendre les choses autrement, je veux de la douceur, de la sincérité, de la générosité - de l'humanité. Je veux un garçon sensible et délicat. Je veux un garçon qui m'aime. Que j'aime, que j'aime, que j'aime.
L'orgueil que je ravale, pour ne plus avoir mal de toi, ne pas te répondre, ne pas s'enfoncer dans les paroles qui blessent, ne pas vouloir avoir le dernier mot quand pourtant ça me démange tellement, je n'aime pas rester silencieuse... Mais ici ce sera la noblesse, ce sera le dépassement de mon amour pour toi, ce sera le seul rempart : ne plus dire un mot. Ne plus jamais avoir à faire à toi.
Le dégoût qui fait frémir mes lèvres. Envie de te cracher au visage, et de te salir comme tu me salis. Disparais. Plus jamais, plus jamais, plus jamais.
La dureté que tu m'as apprise et que je vais détruire, ton intelligence détournée en cynisme que je ne voudrai plus jamais voir, les endroits où je ne mettrai plus un pied par peur de toi, de ton corps, de ta beauté, de ta violence, de ta dureté, du désir qui naît quand tes yeux passent sur moi et que ta main, ta main serrait ma main...
Je garde la beauté que je t'ai dérobée. Je garde mes secrets, mon amour brûlant que tu n'auras plus, jamais. Tu crois qu'un jour encore si tu en as envie je me trouverai dans ton lit ? Tu crois que je perdrai toute ma dignité pour toi ? C'est terminé tout ça Antoine, les pages secrètes je les retire, les textes d'amour je les brûle, et tu t'en vas, tu t'en vas, je ne veux plus, je ne veux plus jamais ça !
L'amour.
L'amour transformé.
L'amour transformé en dégoût.
12 novembre 2005
Le temps froid et sec qui ne m'empêche pas de mettre le bout du nez dehors, balade dans le centre ville pour se parer face à l'hiver qui s'en vient : des collants tailles haute et basse, noirs et chair, des culottes, des mitaines, une écharpe, un bonnet. Se tenir chaud. Quand les bras de mon chéri sont loin, dans une ville de vent, et que sa chaleur me manque.
13 novembre 2005
Je me fais l'effet d'une grand-mère ; je regarde Casablanca, Bogart et Bergman, je prépare des petits déjeuners irlandais (oeuf, bacon, champignons frais, tomate, toasts), je lis L'Express et continue The Great Gatsby à la library de Kirkland, je goûte de petits écoliers au lait devant Chocolat, Binoche et Depp, je prépare le dîner (poulet, riz blanc à la sauce terryaki, concombre) et je regarde allongée sur le sol Sex and the city... Journée qui s'écoule lentement, il ne fait pas très froid dehors, je suis habillée en parfaite étudiante parisienne, collants noirs transparents, jupe courte en velours noir, pull bleu et écharpe assortie, veste de velours côtelé. J'ai inauguré les jolies mitaines. Je me sens prête à affronter toutes les rafales de vent qui viennent s'abattre contre la façade de l'immeuble balnéaire. Je me sens au chaud, protégée au creux d'une douceur solitaire.
15 novembre 2005
Je repense au visage d'enfant de l'un, j'ai envie de me blottir entre les bras de l'autre. Dormir avec un garçon, deux corps serrés.
16 novembre 2005
L'émotion en revoyant son visage d'enfant dur et intransigeant, petit garçon exigeant envers lui-même et envers les autres, aux traits sévères et sérieux, et l'on devine les questions qui surgissent dans son esprit éveillé, trop éveillé, trop attentif, son esprit qui prend de l'avance sur celui des autres enfants...
Le visage lisse et parfait, le regard pénétrant, les cheveux où passer ses mains sans fin, le cou puissant, le corps lourd. Le corps qui repose sur le mien. Le corps qui se soulève et emporte le mien. Mes doigts qui courent sur sa nuque, tous les muscles sont tendus et saillants, la violence qui se fait jour, pas de douceur permise dans cette tension des corps qui se confrontent, qui se rencontrent avec fracas dans une pulsion, un mouvement, un battement, les corps qui se suivent et se retiennent, s'emmènent l'un à l'autre, les corps qui se livrent combat. J'allais à l'amour comme on va à la mort. En ne sachant jamais, jamais, ce qu'il y aura après. Mais sans crainte, sans peur, avec ma seule confiance infinie envers lui. Lui qui me tenait me serrait si fort, tordait mon corps entre ses mains.
Le bercer de toute la douceur dont je me sens capable, le caresser jusqu'à que le sommeil semble l'avoir pris, enserrer son ventre de mes bras blancs et le tenir serré à moi, je le protège, mon bel amant égoïste et cruel, je le protège même quand sa cruauté me ravage, je l'aime malgré tout. Je dis que le dégoût me détourne de lui, que le dégoût est plus fort et me fait regarder ailleurs, mais l'amour encore est là, l'amour reste, je sais encore le goût de cet amour, je sais où retrouver toutes ces sensations qui me font battre le sang en le voyant. Simplement le dégoût est passé devant.
Et je sais bien, je sais pertinemment, que même si c'est toi qui un jour reviens à moi, me souris jusqu'à ce que j'en crève de plaisir, je serai là, je serai là toujours, parce que je n'abandonne jamais personne, parce que mes amants le resteront, garderont une place qu'aucun plus tard ne remplacera, parce que j'aime mes amants avec passion et tendresse, et parfois comme une louve qui garde souveraine ses petits et les défend becs et ongles contre toutes les rumeurs, et que personne ne s'avise ne dire le moindre mot contre eux, je les aime ces garçons, malgré tout le mal que toujours ils font, je les aime et les protège, et je suis là toujours avec le dévouement d'une mère.
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Je me demande si écrire des mots d'amour impose d'écrire avec un goût guimauve, et si cela peut prêter à sourire, à rire, à se moquer. Personne ne m'a jamais attaquée dans mon écriture, et soudain la première percée contre moi, je comprends petit à petit quel engagement représente l'écriture exposée et livrée à tous ceux qui voudraient la lire - et s'en moquer s'ils le souhaitent, apprécier ou être touchés le plus souvent, mais peut-être certains trouvent-ils superbement ridicule de se livrer et avec des mots qu'on croit les siens, qui peut-être semblent artificiels et rose pâle quand on les voudraient rouge sang (sang de l'accouchement de l'écriture), mais quoi ? du cynisme, des sarcasmes, de l'ironie ? Je ne sais pas faire ça. Je ne sais pas cacher la sensibilité débordante. Les mots d'amour qui coulent comme des fleuves, et puis tant pis, c'est ainsi que je veux écrire, remplie d'amour, le coeur et le corps trop étroits pour tout le monde aimer, alors il faut écrire et mon amour pour ce que je vis transpire encore, je n'y peux rien si j'ai envie de trouver la vie belle et de l'écrire naïvement. Le cynisme est une méchanceté dissimulée sous l'intelligence. Une lucidité hors-du-commun. Peut-être que je ne sais pas être lucide. Et alors ? Est-ce que Solal a la vie plus belle qu'Ariane parce que son regard est lucide ? Non. Non. J'admire Solal, mais je ne lui ressemble pas.
18 novembre 2005 - années folles
Robe de soie noire qui glisse au corps, robe qui découvre la poitrine, les seins blancs aux mille veines bleues entourés par le tissu léger et la soie qui vole, qui tourne quand retenue par ses bras je danse, instants de folie, dans le hall du bel hôtel je m'abandonne aux bras d'un garçon qui n'aime pas les femmes, mais qui me tient fort et me fait virevolter, le tissu se lève et tourne, les cheveux de cuivre, masse lourde et brillante, lèvres entrouvertes d'où s'échappe le rire fou, la gorge qui plie et ploie, la nuque renversée, la tête qui tourne seulement, les pas rapides et le mouvement, le mouvement qui me porte, l'air qui tournoie, je me perds sous les lumières et les coupes de champagne qui dessinent le vertige, le tissu noir qui court sur ma peau et caresse mon dos bronzé, je suis folle de joie, de danser, d'être dans les bras d'un homme, de vivre la nuit qui se déroule avec une allure folle.
19 novembre 2005
Journée calme, cocoon, brume fine qui tombe dans les rues de Seattle, journée passée à dormir ou à traîner dans le grand lit aux draps bleu sombre, quelques courses qui prennent l'allure d'une épopée, la chaleur du petit appartement et la moquette où les pieds s'enfoncent, douceur. Les dernières journées pour préparer le festival ont été éprouvantes, remplies de stress, tout le weekend je ne ferai que dormir.
20 novembre 2005
Thanksgiving n'est pas encore tout à fait là et pourtant les vitrines s'habillent pour Noël, un grand sapin paré de minuscules ampoules se dresse près du Westlake Center, et j'ai très envie d'un Noël en France, la chaleur de la maison familiale, les rires et l'amour, le foie gras le saumon les huîtres et les escargots pour le réveillon, le chapon et la bûche pour le déjeuner du 25, le feu tout doucement dans la cheminée, les cols roulés et les pulls de laine pour se tenir chaud, les cadeaux au pied du sapin décoré de guirlandes et de boules de verre, les patchworks verts et rouges cousus par Maman, les cds de jazz de Papa, les grands-parents sur leur 31. Et j'ai aussi envie du nouvel an en Auvergne, ma famille de coeur, ma belle chérie, et O, et les grands-parents, et les cousins... La famille qui prend plus de sens parce que j'en suis éloignée, mes parents que je voudrais voir et rassurer parce que si mal me connaître parfois leur faire croire des choses qui me semblent parfaitement absurdes, mais ils sont capables de tout imaginer.
30 novembre 2005
Novembre, mon écriture que tu as jetée en patûre.
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